Etes-vous prêts ? Cette année encore, les DRH ne feront pas l’économie d’une nouvelle négociation sur la prévention des risques professionnels. Après avoir fait l’objet de plusieurs modifications, avec l’ajout puis le retrait des différents seuils d’exposition figurant sur le compte professionnel de prévention (C2P), le sujet sera de nouveau au cœur des discussions en 2019. Concrètement, pour améliorer la prévention des risques professionnels, les ordonnances Macron ont ajouté à la réglementation du travail
un "indice de sinistralité AT/MP". Applicable depuis le 1er janvier aux entreprises ou aux groupes de plus de 50 salariés, il prend en compte le nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles (AT/MP) sur trois ans, divisé par l’effectif de l’entreprise sur la dernière année connue.
60 % de sociétés de 50 à 100 salariés
"10 000 entreprises devraient être concernées au titre de cet indice, selon les prévisions de Sébastien Martine, responsable adjoint du département prévention des risques professionnels de la Cnam. A la fois dans la métallurgie, le bâtiment, le transport, le commerce, l’industrie de l’alimentation ou encore l’aide à la personne". Dans le détail, 60 % sont des sociétés de 50 à 100 salariés ; 20 % des entreprises au-dessus de 200 salariés.
Toutes vont être informées par l’Assurance-maladie-risques professionnels, via les caisses régionales. "Dès que l’indice est supérieur à 0,25, c’est-à-dire lorsque qu’une entreprise de 100 salariés a eu plus de 25 accidents ou maladies professionnelles en trois ans, nous l’informons de ses obligations". Les premiers courriers viennent d’être postés.
Les branches professionnelles en première ligne
Sans attendre les notifications, plusieurs branches et entreprises ont pris les devants. C’est le cas de la branche des matériaux de construction (près de 75 000 salariés dont près de 23 % de magasiniers et 10 % de chauffeurs-livreurs) qui s’est engagée, via un avenant du 13 septembre 2018, à réduire les polyexpositions aux risques professionnels et TMS et à améliorer les conditions de travail. "On a réussi à aller sur les questions d’organisation du travail, se félicite Catherine Pinchaut, secrétaire nationale CFDT en charge des questions de travail à la CFDT. On traite de l’adaptation et de l’aménagement des postes de travail". "L’accord confirme en outre des clauses de verrouillage, les TPE/PME ne peuvent y déroger".
Accord de "prêt-à-porter"
La Fédération du commerce et de la distribution, qui regroupe quelque 50 adhérents, enseignes de la grande distribution, alimentaire ou spécialisée (750 000 salariés) a, quant à elle, lancé sa première séance de négociation début janvier. L’objectif ? "Proposer une palette de mesures afin que chaque entreprise puisse adapter les mesures à ses propres problématiques, affirme Renaud Giroudet, directeur des affaires sociales emploi et formation de la fédération patronale. Soit un accord de prêt-à-porter, en quelque sorte". A défaut, les entreprises de moins de 300 salariés ne seront pas couvertes.
En amont, un premier travail a été réalisé au sein du comité technique national de la Cnam, branche AT-MP, qui regroupe l’agroalimentaire, l’hôtellerie-restauration et le commerce alimentaire. Il publie plusieurs recommandations sur la prévention des risques professionnels, notamment sur la pénibilité (travail dans les chambres froides, postures pénibles, mise en rayon…)
"Quatre thèmes sont récurrents, alerte Sylvie Vachoux, secrétaire fédérale CGT en charge du suivi de la grande distribution. Les TMS, les chutes de hauteur, les agressions et le port de charges qui peuvent même entraîner des fausses couches ; un sujet tabou dans le secteur". Mais d’autres points de vigilance existent. A commencer par "les nombreux cas d’invalidité ou d’inaptitude en fin de carrière". La commission paritaire santé et sécurité de la branche s’est réunie en décembre et janvier pour dresser un état des lieux et faire des propositions. Elles seront débattues par les partenaires sociaux de la branche en mars prochain. Une première depuis deux ans, selon la syndicaliste.
Chez Lafarge, un groupe de discussion paritaire va être lancé sur le sujet.
Contrainte supplémentaire
Mais cette obligation est aussi perçue comme une contrainte. "Arrêtons de complexifier les sujets, les entreprises, et notamment les PME/PME s’y perdent, alerte Betty Vadeboin, chef de projet prévention et santé au travail au sein de la Fédération patronale des entreprises de la propreté (520 000 salariés). Il faut apporter de la cohérence".
Pour les y aider, la FEP, qui s’appuie sur son accord de 2012, mettra en ligne un outil d’aide à la négociation d’ici à quelques jours.
Des contrôles renforcés ?
L’exercice est loin d’être une simple formalité. "L’indice peut aussi viser des entreprises ou des secteurs qui ne sont finalement pas très exposés à la pénibilité", prévient Frédéric Fayan-Roux, avocat associé au cabinet BDO France. D’où un champ de négociation beaucoup plus large. C'est-à-dire qui va au-delà des sociétés qui déclarent leurs salariés à un ou plusieurs des six facteurs de pénibilité, figurant sur le compte professionnel de prévention (C2P). De plus, "les accidents sans arrêts de travail sont comptabilisés afin de mettre l’accent sur la fréquence des accidents plus que sur leur gravité. En revanche, les accidents de trajet en sont exclus car non imputables à l’employeur".
Surtout, "les Carsat, qui connaissent le taux de sinistralité de chaque entreprise, auront tout intérêt à signaler chaque manquement à la Direccte car les pénalités seront reversées à la branche AT-MP, souligne Frédéric Fayan-Roux. En clair : les contrôles seront sans doute renforcés".
Six mois pour se mettre en conformité
A défaut d’un accord de branche, celles de moins de 300 salariés peuvent solliciter l’aide financière du Fonds d’amélioration des conditions de travail de l’Anact, via un appel à projets portant sur l’amélioration des conditions de travail. La prise en charge peut aller jusqu’à 1 000 euros par jour avec au maximum 12 à 14 jours d’intervention par un consultant externe. 30 à 50 dossiers sont suivis chaque année dans ce cadre.
Les autres doivent aborder au moins quatre thèmes. "En sus des thématiques liées à la prévention de la pénibilité (réduction des polyexpositions, adaptation et aménagement de postes…), elles devront négocier de manière plus générale sur les conditions de travail, indique Frédéric Fayan-Roux. Il peut s’agir du développement des compétences et des qualifications, de l’aménagement des fins de carrière ou encore du maintien en activité des salariés inaptes, handicapés…".
Programme de lutte contre les TMS
Certaines entreprises de la branche propreté pourront ainsi mettre en avant leur participation au programme national de lutte contre les TMS, avec la Cnam/TS et l’appui technique de l’INRS, lancé en 2010. Un fléau dans le secteur. "Plus de 700 sociétés se sont engagées dans la démarche et 98 % des salariés formés ont obtenu leur certification d’animateur de prévention des TMS", rappelle Betty Vadeboin. Une priorité pour la branche tant les entreprises peinent à reclasser les salariés une fois la maladie survenue. Difficile, en effet, d’adapter le poste de travail d’un agent de propreté qui ne peut plus porter son matériel. Les mobilités vers des postes administratifs sont rares. Ce qui peut se traduire par des licenciements pour inaptitude.
Faute de postes adéquats, 10 % des entreprises sondées dans différents secteurs d'activité ont été contraintes de licencier un collaborateur à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, selon le
baromètre de la gestion des accidents du travail/maladies professionnelles, dévoilée en décembre par le cabinet BDO. Elles étaient 7 % dans ce cas en 2017.
Pour quels résultats ?
A l’issue de la négociation, l’accord ou le procès-verbal de désaccord sera déposé auprès de la Direccte. En cas de défaillance, l’Inspection du travail met en demeure l’employeur d’agir dans un délai de six mois. Les entreprises contrevenantes s’exposent à une pénalité allant jusqu’à 1 % de leur masse salariale.
Une sanction suffisamment mobilisatrice ? Les effets pervers ne doivent pas être sous-estimés. "Cette incitation à la négociation peut induire des risques de sous-déclaration pour les entreprises plus accidentogènes", pointe Marion Gilles, chargé de mission au département études et prospectives au sein de l’Anact qui recommande de se lancer dans une démarche de prévention avant que la ligne rouge ne soit franchie.
Cette obligation peut aussi conduire à "des accords a minima sans témoigner d’un véritable engagement", prévient cet observateur social. "Plusieurs négociations se feront à la va-vite, sous la pression, et ne déboucheront pas sur des avancées très fortes". Une occasion ratée de faire bouger les lignes ?